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fidèles en amour, infidèles en plaisir

20 % des Français interrogés avouent que l’infidélité peut stimuler leur désir. Combien d’autres la fantasment ? Rencontre avec l’un de ces couples “libres”, qui se dit tout et… qui dure.


 

Anna et Clément
Anna, 36 ans, coupe bouclée à la garçonne, arrive avec une demi-heure de retard pour l’interview, essoufflée… et hilare.
" Je sors de l’hôpital, mon “fiancé” a failli claquer d’une crise cardiaque. Il avait pris trop de bois bandé.
— Le basketteur ? Tu l’impressionnes donc tant que ça ? glousse Clément, 46 ans, son “mec” depuis douze ans, anthropologue.
— La dernière fois, il dormait à moitié. Je l’ai un peu secoué. Alors, il a voulu se fortifier…

Le ton est donné.

Ces deux-là n’ont aucune gêne à se raconter leurs frasques. Ils s’acceptent cavaleurs, c’est clair. Mais jusqu’où ? C’est pour parler de cela que nous sommes là. J’interroge Clément :
— Ça ne vous gêne pas qu’Anna s’envoie en l’air ?
— Ça me gênerait plus qu’elle le fasse en douce.
— Vous ne préféreriez pas ne rien savoir ?
— Oh ! je ne sais rien ! Je ne lui demande rien. Elle peut me mentir, me dire qu’elle va au théâtre, c’est accepté d’avance. Alors elle avoue presque toujours.
— Vous ne tiquez jamais ?
— Parfois, mais en secret. Je ne vais pas gâcher son plaisir.
— Et vous, Anna ?
— Pareil. D’habitude, il me le dit : “J’ai une histoire ce soir” ou “Cette nuit, je découche.” Parfois, il ne me dit rien. Et c’est tant mieux aussi.
— Tout se dire, c’est un enfer. Avec ses procédures, ses vérifications, ses hystéries, avoue Clément. Non, nous sommes dans la confiance, pas dans l’exacte vérité…
— … La confiance que nous n’allons pas nous séparer pour une histoire de sexe.
— Cela dit, on aime bien se raconter les histoires croustillantes.
— Nous pourrions écrire un livre ! Il y a deux mois, je sortais avec un champion de body-building, Hulk en personne. Il est tombé à mes genoux en pleurant : il n’avait jamais trompé sa femme, j’étais une sorcière et je lui avais jeté un sort.
Nos deux complices rient encore très fort. Je demande à Anna :
— Vous donnez dans l’athlète…
— Tant qu’à faire, je cherche les plus beaux mâles.
— Vous Clément, vous n’êtes pas complexé ?
— Ça me force à m’entretenir. A rester désirable. Et puis, je connais Anna sexuellement. Je sais comment la prendre…
— C’est vrai, Anna ?
— Il existe une magie entre nous, très rare. Nos peaux s’épousent. A peine nous enlaçons-nous que c’est comme un nœud d’anguille. Il y a osmose. Peut-être sommes-nous les deux pièces du mythe de l’hermaphrodite : nous avons été coupés en deux autrefois et nous nous retrouvons.

Je lance un couac :

— Et si vous rencontriez cette magie avec quelqu’un autre ?
— Nous rencontrerions difficilement ailleurs nos jeux idiots, notre “créole” amoureux et cette liberté !
— Votre “créole” ?
— Nous vivons dans un royaume à part, répond Clément. C’est bien cela l’amour, pour nous, le mythe d’un “royaume” où l’homme serait heureux, où il n’aurait plus peur de l’autre. Nous nous l’offrons. Nous le protégeons. Et nous avons inventé un langage. Nous parlons “chapultepec” ou “kopakabar”. Des expressions mexicaines qui vibrent. “Chapultepec” veut dire “superbe, commotionnel” ; “mazatlan” signifie “je frôle la jouissance”.
— On parle au “conditionnel futuriste” pour évoquer des projets rêvés… explique Anna : “Si j’irirais au théâtre, tu viendrerais ?”
— Tous les amoureux font cela, je crois… Si nous n’allions pas courir la gueuse de temps en temps, nous finirions par parler une langue incompréhensible pour les autres.
Anna poursuit :
— Nous nous sommes mis ensemble pour le plaisir, pour le meilleur, pas pour le pire : les engueulades, la jalousie, les crises de nerfs…
Avocat du diable, je tique :
— Et vos amants, comment réagissent-ils ?
— Je suis bagué comme un poulet, déclare Clément. Elles savent.
— Je leur dis que j’adore mon mec, qu’il me laisse courir. Ils sont soufflés. N’y croient pas. Pensent que Clément ne me baise plus, que je me venge de lui. Je leur dis : “Non, non, pas du tout !” Alors, ils me traitent de salope… Je leur dis : “Oui ! Oui !” [elle rit]
— Une fois, j’ai rencontré une petite qui m’a tourneboulé. Elle s’était mis dans la tête de me faire quitter Anna. Je me suis débrouillé pour qu’elle me largue. Elle était jalouse. Pour moi, accorder la liberté érotique à l’autre est un don. La preuve même de l’amour.
— La preuve du respect de l’autre comme personne, renchérit Anna, avec une histoire, des caprices, des perversions, des secrets. La liberté est une des clauses élémentaires du contrat. Règle numéro un : fidèle en amour, infidèle en plaisir.
— Règle numéro deux : pouvoir découcher sans culpabiliser, sans que cela fasse un drame, dit Clément.

Je lance un deuxième couac :

— Et si l’un tombe amoureux ?
— Ça arrive, avoue-t-il. Des petites amours… Je souffre quand ça s’arrête bien sûr, mais j’encaisse en silence. Je ne fais jamais rien ressentir à Anna. Elle n’a jamais été en danger… Moi oui !
— Quand cela ? s’étonne-t-elle.
— Et Charlie ? Tu es partie avec lui trois mois, oui ou non ?
— C’était il y a dix ans. Une vraie rupture. Tu ne voulais pas habiter avec moi, après deux ans de papouilles, de voyages, d’orgies. Alors je t’ai fait peur !
— Pendant deux ans, chacun a conservé son appartement, raconte Clément. Notre liberté, nous la défendions bec et ongles. Ensuite, j’ai gardé un pied-à-terre pendant des années. Et puis, nous avons trouvé un “modus vivendi”.
— Maintenant, je choisis des amants dont je ne risque pas de tomber amoureuse. Des coups. Des mecs mariés. Des baiseurs.
— A moitié vrai ! rétorque Clément, moqueur.
— Quoi ? Moins je suis amoureuse, plus ils m’excitent ! Comment un type qui passe quatre heures par jour à faire de la gonflette pourrait-il me séduire ?
— Et le publicitaire allemand, cet été ? Ce n’était pas un body-builder. Tu l’as revu plusieurs fois, non ?
— C’est l’exception qui confirme la règle…

Un litige couve. J’interroge :

— Clément, vous me semblez jaloux de ce “pubard” allemand…
— Non. Comment vous dire ? Anna a une fâcheuse tendance à ériger en règle commune ses propres comportements. Par exemple, elle dit ne sortir qu’avec des étalons, dont elle use et abuse quelques heures, avant de rentrer à 3 heures du matin. Résultat : je devrais faire de même. Or les filles que je rencontre ne sont pas des “étalons”. Elles exigent parfois plus de sentiment, de complicité, ou que je dorme avec elles…
— C’est vrai que je m’alarme s’il découche trop souvent.
— Voilà pourquoi je lui rappelle qu’elle est déjà sortie avec des normaux sympathiques et qu’elle découche beaucoup plus que moi ! Pour ne pas laisser s’installer des principes rigides.
Une question me turlupine :
— Ça ne vous peine pas d’imaginer l’autre faire l’amour avec… un autre ?
— Souvent je retiens mon imagination, répond Clément. Cela dit, j’ai déjà vu Anna faire l’amour devant moi, quand nous étions jeunes, dans des soirées qui déraillaient. J’adore la voir jouir, s’agripper à un homme… Quand je me la rappelle, la vision m’excite, c’est vrai. D’autres fois, y penser me fait mal, je me dis qu’elle s’éclate plus avec un boxeur de 20 ans qu’avec moi. Mais je trouve grand qu’elle puisse vivre ses caprices avec intensité. Nous n’avons qu’une vie !
— Bien sûr, c’est difficile d’accepter que l’autre désire ailleurs, renchérit Anna. Quand nous nous sommes rencontrés, j’avais 24 ans. Nous étions de vrais loups-garous. Nous draguions ensemble des filles, j’aimais les embarquer, les affoler, mettre le sexe de Clément dans leur bouche… Plus tard, j’en ai eu assez. Ça ne me plaisait plus de voir Clément les prendre. Surtout les jeunes. Oui, ça me faisait peur : Clément les désirait plus que moi. Je préfère ne plus le voir dans cet état.
– Nous n’avons pas de principe
libertaire à l’envers. Je ne vais pas imposer mes envies à Anna, ni elle les siennes. Nous ne sommes pas des échangistes, même si ça nous est arrivé. Avant, j’étais choqué par la rage érotique d’Anna. Pourtant, je ressens la même chose face à certaines femmes, je suis comme emporté par mes désirs. Il nous a fallu admettre la réciprocité dès le début. L’accepter. Puis faire preuve de tact. Puis en rire. L’amour s’apprend, se raffine.

Je hasarde l’autre question d’importance

Pourquoi ne sont-ils pas mariés ?
— L’Etat n’a rien à foutre entre un homme et une femme, répond Anna. Ensuite, ce sont les avocats qui s’en mêlent ! C’est lamentable.
— Nous sommes contre le mariage institutionnel, mais pas contre les fêtes de l’amour. Nous avons fait des cérémonies passionnées dans toutes les religions du monde. Dans les temples sivaïtes, à Bénarès, sous la Vierge noire des gitans… A chaque fois, nous demandons la bénédiction d’un prêtre, les fleurs, les encens… Nous pleurons. Nous nous jurons “fidélité en amour et infidélité dans les plaisirs” pour un an encore. Attention, toujours après une rude discussion sur ce qui nous déplaît.

Et leurs amis ? Savent-ils ?

— Quand je raconte mes histoires à de nouveaux copains, cela soulève un malaise, reconnaît Anna. Au début du moins. Car très peu vivent ainsi, surtout les trentenaires. Ça leur paraît monstrueux. Ils nous prennent pour des pervers. Les années passant, après leur deuxième ou troisième couple en dix ans, ils commencent à comprendre…
— Presque tous les couples autour de nous ont explosé… A chaque fois, pour une histoire de jalousie stupide, le type qui filait une aventure avec une petite, et patatras ! La corrida de la “tromperie”, “la trahison” commençait…
— J’adore raconter comment Clément visite les bordels quand on va en Asie, au Brésil. Les femmes deviennent vertes. Les mecs roulent des yeux ronds, jaloux. C’est étrange comme la liberté fait peur…
— Je crois qu’ils ne s’aiment pas assez pour avoir confiance, poursuit Clément. Ils ne font pas étinceler leur relation, ils ne la renouvellent pas. Du coup, ils vivent dans la peur. Comme ils ne s’autorisent rien, se surveillent, la première aventure un peu sexe les détruit. Je crois que nous vivons plusieurs vies parallèles : celle de l’amour, celle de l’éros, celle de la création, celle du travail, celle des amis… Ces existences se développent sans se chevaucher, sans s’étouffer. Une histoire voluptueuse s’épanouit dans le secret, se cultive, fleurit pour elle-même. Comme une amitié. J’ai des vieux amis qu’Anna n’aime pas. Pourtant, je les vois, nous faisons des dîners. Anna aussi a des amies qui m’énervent. Elle va les voir. L’amour n’est pas une fusion perpétuelle, c’est absurde, dangereux. Nous sommes des personnes avant tout, nous jouissons seuls, nous créons seuls, selon des circonvolutions incompréhensibles à l’autre. Nous ne sommes pas réductibles dans l’amour.

Soudain, je comprends quelque chose.

Ils ne parlent pas d’enfant. Ils se comportent comme un jeune couple éternel. Je demande :
— Vous avez des enfants ?
— Non. Nous ne pouvons pas en avoir… répond Clément. Nous gardons ceux des copains pour faire vibrer notre fibre parentale. Nous pensons en adopter. Mais Anna s’inquiète. A son goût, je passe trop de temps avec eux. Et pendant ce temps, nous arrêtons nos jeux. Elle le supporte mal.
— Je veux continuer à voyager au bout du monde, à visiter des endroits incroyables ou dangereux, où l’on va sans enfant. Avec Clément, nous vivons comme deux gosses. Notre amour, notre liberté ressemblent à l’enfance. J’aurais très peur qu’un vrai enfant n’accapare tout cela pour lui. Pour l’instant, on essaie de se régaler. C’est ce qu’on s’est promis dès le début. C’est de l’égoïsme, nous dit-on souvent… Je trouve curieux de confondre égoïsme et existence bien remplie. L’adoption ? Plus tard, oui, le besoin viendra, nous voudrons faire circuler l’amour, donner à un autre, lui raconter notre histoire. "

Sexualité : Quand est-elle épanouie ?

Les sexologues sont d’accord : iI n’y a pas de norme. "Une sexualité réussie ne se mesure pas au nombre d’orgasmes", assure Xavier Boquet. Philippe Brenot renchérit : " Cela varie selon les individus. Certain(e)s s’épanouissent dans le couple monogame, d’autres dans des relations multiples. L’important réside dans la liberté d’exprimer ses désirs ou ses fantasmes sans qu’il soit forcément nécessaire de les réaliser. La non-contrainte de l’autre est essentielle à l’épanouissement sexuel. En clair, c’est très bien si tout est permis, mais à condition que les deux partenaires en aient autant envie. "Selon Robert et Claire Gellman, une sexualité épanouie" est tout simplement une sexualité qui ne génère pas de frustration. Ce qui suppose de pouvoir établir avec le partenaire une bonne communication où chacun peut tenir compte des désirs et limites de l’autre en respectant ses propres désirs et limites. Cela suppose également de pouvoir se départir des a priori normatifs, et de s’intéresser plus à la qualité de la relation amoureuse qu’à la compétitivité, la réussite ou l’échec."
(Monique Ayoun)



04/09/2011
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